Histoire de voisinage

« […] Elle riait encore, peut-être parce qu’elle tenait dans sa jupe repliée en poche sur ses genoux beaucoup des fruits de ces arbres proches, dont elle prenait et mangeait. C’étaient des grosses cerises, qui retenaient le soleil à leur bord fuyant. Et il y en avait toujours et même il y en eut trop, ils glissaient de l’étoffe claire, à tels mouvements, et tombaient avec un bruit sourd dans l’herbe du bout du monde. »

Yves Bonnefoy, Rue Traversière et autres récits en rêve, « Les fruits », 1987, Gallimard.

Certains chemins pour s’orienter, d’autres pour se rapprocher ; les Quattro Strade (Four Roads) d’Alice Rohrwacher décrivent des routes aux abords desquelles on se tient désormais à distance.

Alice Rohrwacher, Quattro Strade, 2021, MUBI.

Disponible sur MUBI, ce court-métrage de huit minutes « échappe à la claustrophobie des vidéoconférences grâce à un appareil photo et un zoom », lit-on avant de le visionner. À la manière de la jeune fille sur la miniature, tête couronnée de fleurs tressées maladroitement, ce film nous est proche et lointain. Avec lui, on se détourne des boulevards des métropoles vidés par le confinement, qui servent les chaînes d’information en continu, pour rejoindre les routes de la campagne italienne, filmées par une caméra en fin de vie.

Alice Rohrwacher, Quattro Strade, 2021, MUBI.

Les premières images revivifient le mois d’avril 2020, suivant la perspective d’une route sans borne. En initiant un jeu de miroirs, d’ouvertures sur l’extérieur et de fenêtres aveugles, la cinéaste fixe la caméra devant son œil gauche – organe mécanique au format seize millimètres, qui sert d’intercesseur aux corps distanciés. Bien qu’endommagée, la pellicule offerte au regard annonce des tâtonnements dans l’exploration du médium analogique et coïncide avec le renouvellement des pratiques de notre époque.

Alice Rohrwacher, Quattro Strade, 2021, MUBI.

À chaque point cardinal correspond une route, son sol de rocaille ou d’herbe, et un.e voisin.e, dont Alice Rohrwacher vient saisir les traits du quotidien.

À l’est, la paysanne Enza se recoiffe avec un geste d’une élégance discrète, accompagnée de son chien Tigre. Le cadrage accentue la verticalité de sa silhouette, la redressant pour mieux l’inclure dans une sorte de « swagger portrait » anachronique, à l’instar de Mrs Lowndes-Stone posant en pied dans sa propriété, avec son épagneul, dans une peinture de Thomas Gainsborough, vers 1775.

Active dans son jardin ou posant sur le pas de sa porte, Enza fait un signe de la main à la caméra qui s’éloigne et introduit le changement de cap.

Alice Rohrwacher, Quattro Strade, 2021, MUBI.
Thomas Gainsborough, Portrait of Mrs Lowndes-Stone, c. 1775, huile sur toile, 232 x 153 cm, inv. 429, Calouste Gulbenkian Museum, Lisbonne

Au sud, quelques gros plans sur les objets appartenant à Claudio, poète solitaire, suffisent à le présenter, comme autant de choses pongiennes. Par un jeu d’échos visuel et sonore, la réalisatrice fait ensuite coïncider l’anecdote d’un endroit secret, où Claudio cueille ses fleurs chaque jour et le lieu dans la pénombre, d’autant plus inaccessible qu’il reçoit l’intime, la table de travail du poète, où éclosent ses « fleurs du mal ».

Au nord, le sentier mène à un champ, au bout duquel on découvre une famille d’agriculteurs, que le ralentissement de l’économie mondiale ne semble pas avoir affectée. Traversant les espaces de travail et les espaces de loisir, le mouvement incessant des enfants et des animaux ne retombe jamais, capté par les déplacements de la caméra.

Le film s’achève en épuisant la pellicule sur la réflexion suivante :

« Une fois, en France, j’ai vu un arbre qui avait vécu plus de mille ans. Les botanistes disent qu’il a vécu aussi longtemps parce qu’il s’entendait bien avec ses voisins. Qui sait ? »

Entre portraits et paysages, Quattro Strade interroge le rapport au voisinage, et à la distance que le confinement maintient entre nous. L’alternance des plans larges et resserrés représente les aléas de la proximité, par les mots ou par les gestes ; par une anecdote sur le quotidien ou par un regard soutenu vers la caméra. En tant qu’il ajoute à la voix-off, le zoom complexifie ce qui relève de l’intime et facilite l’identification à un cadre de vie nouveau.

À la fois cinéaste pour le public et voisine pour le privé, Alice Rohrwacher se sert de la distance que matérialise l’appareil photo, pour allier la mise en scène de son voisinage et les récits spontanés. Cette distance imposée aurait pu être filmée par le numérique, mais la réalisatrice préfère un médium analogique, la pellicule, qui entretient un lien physique et temporel, du processus créatif au résultat final. Ainsi empreintes d’une forte matérialité, les histoires que l’artiste documente constituent des réseaux de souvenirs. 

Par ailleurs, la situation sanitaire n’est évoquée à l’image qu’à travers le masque porté par Claudio, lorsque la caméra s’éloigne. L’utilisation d’une caméra comme outil de médiation pour rendre visite à son voisinage, si elle permet à l’œil de rester proche de l’autre, indique également le caractère exceptionnel du contexte.

Motivée par la volonté de rompre l’isolement, la démarche artistique médiatise un rapport à l’autre, qui est d’habitude immédiat. Enregistrer sur la pellicule des scènes de vie quotidienne animées ou réaliser des plans fixes de sentiers de forêt, de linge étendu, de vase sur une table, nourrissent une poésie du banal. Le processus d’artification, qui fait œuvre ici à partir des histoires de voisinage, comme il en existe partout, croise la nécessité du partage des gestes simples et des routes qui y mènent. C’est en laissant la question ouverte, que l’artiste conclut sur les bienfaits du lien social, menacé par la crise sanitaire ; un monde en réduction à protéger.


Désignée comme la « Mecque du streaming d’auteur mondial », la plate-forme MUBI propose un échantillon du cinéma classique et contemporain, avec des réalisateur.ices de toutes les notoriétés et met chaque jour un film en lumière. Les programmations spéciales et les rétrospectives rythment un riche catalogue, qui permet à chacun.e de créer ses propres listes, de discuter des critiques, de noter les films, et de s’informer du déroulé des festivals. Si MUBI coûte 9,99€ par mois, le forfait étudiant l’abaisse à 5,99€, résiliable à tout moment. Un mois d’essai est disponible avant de s’engager, et l’on peut partager chaque film gratuitement par mail à trois de ses contacts.

Aliénor

@maestalienor

Le graffiti pour aveugles – L’art de The Blind

The Blind est un artiviste (contraction du mot “artiste” et “activiste”) qui travaille, depuis les années 2000, sur un projet innovant, artistique et social : le graffiti pour aveugles.

Collage sur le musée d’art contemporain, The Blind, 2006, Paris, Palais de Tokyo (source https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

Souvent invisibilisé, le braille gagne à présent les murs des villes, et surtout le monde de l’art.

Pour ce faire, l’artiste utilise un pochoir, représentant l’alphabet braille. À l’aide d’une bombe de peinture, il peint certains points, pour former les mots et les phrases qu’il souhaite. Il vient ensuite coller des demi-sphères de plâtre, moulées pour l’occasion, sur les traces prédéfinies par la peinture.

Un alphabet universel, qui lui permet de rentrer en contact et de partager avec le monde entier. Il se rend ainsi sur tous les continents pour faire entendre sa voix et transmettre ses mots.

Love is blind, The Blind, 2010, Venise (source : https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

Ses créations sont des inscriptions courtes, souvent provocantes ou ironiques qui prennent sens dans le lieu choisi par l’artiste. Une fois l’inscription posée, elle vient parfaire son environnement, qui, lui-même donne du sens à la phrase en braille.

Vu et revu, The Blind, 2006, Paris, Trocadéro (source : https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

L’art de The Blind, c’est l’art de la complicité, du partage et de la compréhension de l’autre. Le lieu dialogue avec le message : chacun ayant besoin de l’autre pour vivre et faire sens.

Mais The Blind parfait encore son jeu sur la discussion et le dialogue.

Vous ne comprenez pas cette œuvre, vous qui lisez ces mots ? C’est normal. Il vous manque la clé de compréhension, la personne qui vous aidera à comprendre.

Le/La malvoyant.e a besoin du/de la voyant.e pour comprendre l’environnement et prendre connaissance de l’œuvre. En ce qui concerne le/la voyant.e, il/elle a besoin du/de la malvoyant.e pour comprendre l’œuvre. Voyant.e et non voyant.e fonctionnent par paire : l’un.e est le médiateur de l’autre.

Individuellement, ils/elles n’auront pas accès à cette réalisation, mais ensemble, ils/elles y accèdent, la lisent, en discutent et la comprennent.

L’art te touche ?, The Blind, 2006, Paris, Palais de Tokyo (source https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

The Blind fait évoluer le braille qui passe de l’invisible au visible. Ce système d’écriture mal connu et compris devient le vecteur d’un message à découvrir.

Il fait évoluer le support du braille – d’une feuille, on passe à la ville – mais aussi la méthode de lecture – elle ne se fait plus au doigt, mais à la main. Et enfin, il fait évoluer la lecture en elle-même : d’une lecture seule, on passe à une lecture collective.

Pas vu, pas pris, The Blind, 2004, Nantes, Palais de Justice (source https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

Il expose tout d’abord dans la rue. Ce “musée à ciel ouvert” permet à l’artiste de reprendre possession des rues, des murs, des sols…

Nous pouvons faire un lien avec le Land Art, courant de l’art contemporain visant à utiliser la nature au service de la création. Ces créations sont donc généralement réalisées et exposées à l’extérieur, se servant de la nature comme médium, et évoluent avec le temps et les fluctuations de la nature. The Blind ne se sert cependant pas de la nature comme outil de conception, moulant ses demi-sphères en plâtre.

Moulage, The Blind, 2010, Budapest (source https://theblindtavu.wordpress.com/graffiti-pour-aveugle/)

Il se rapproche davantage du Street art, par les techniques du pochoir, du graffiti, du collage… Mais aussi par la réappropriation de la rue, proposant un art accessible par le plus grand nombre malgré son caractère éphémère (et interdit).

Accessible à tous, oui ! Mais à une condition : avoir envie d’ouvrir les yeux : sur le handicap, sur la société, sur le monde !

Si les musées et les galeries ne sont pas les lieux d’exposition premiers de The Blind, lieux dont les portes ont toujours été fermées pour de nombreuses personnes, l’artiste travaille aujourd’hui avec diverses institutions culturelles. Cette fois, il se place en interlocuteur privilégié au sein de ce dialogue pour l’inclusivité entre street art et institution, entre caché et publique, entre interdit et autorisé.

Éteins la lumière, The Blind, 2019, Nantes, Trempolino (source : compte Instagram de The Blind https://www.instagram.com/p/CNaTIjGF8jo/)

Son identité visuelle en tant qu’artiste reprend tous ces codes, et peuvent nous aider à comprendre davantage ses œuvres et ses motivations :

  • Une main qui tient, dans un geste à la fois cool et de révolte, une canne, symbole rappelant la cécité, mais aussi maitresse de justice et d’égalité, tenant parfaitement à la même hauteur deux balances.
  • Des yeux : symbole évident, car c’est ce qui distingue les deux protagonistes de son œuvre : l’un voit, l’autre ne voit pas. Et sans ces deux personnes, l’art de The Blind ne prendrait pas.
En voir de toutes les couleurs, The Blind, 2017, Vigneux (source : compte Instagram de The Blind https://www.instagram.com/p/CMxNQGhI2sx/)
  • Des yeux qui semblent à la fois se cacher et se libérer des briques d’un mur. Les cases de la société ont trop longtemps enfermé, il est temps de libérer, mais à quel prix ? Cette question est importante pour un artiste qui est à la fois obligé de se cacher pour s’exprimer, mais accepte de se montrer dans des institutions, pour porter la voix d’un public trop souvent empêché.
Source : compte Instagram de The Blind (https://www.instagram.com/theblind1/?hl=fr)

Une chose est sûre, l’art n’est pas visible par tout le monde, mais il peut être ressenti par tous.

Chloé (@clilli_)

Retrouvez le travail de The Blind sur son Instagram : @theblind1 et sur son site : https://theblindtavu.wordpress.com/

Tadeusz Rolke

La Pologne photographiée

Lors d’un séjour à Varsovie en mars 2019, nous nous baladions sur l’une des grands avenues de la capitale polonaise avec mes amies, quand par hasard une affiche nous interpella.  C’était celle de l’exposition de Taudeusz Rolke qui se tenait à la galerie Dom Spotkań z Historią durant le  printemps de la même année. Le nom de cet artiste nous était pourtant inconnu mais, attirées par l’affiche, nous  avons poussé la porte de la galerie. Derrière ces photographies poétiques, nous imaginons l’histoire  d’une ville derrière le prisme d’un photographe polonais.

Affiche de l’exposition « Taudeusz Rolke : Fotografie Warszawskie” à la galerie Dom Spotkan z Historia, Varsovie, du 21 mars au 9 juin 2019.

Tadeusz Rolke est un photographe polonais né en 1929. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate  il est adolescent et fait partie du groupe scout clandestin de Pologne « Szare Szeregi ». Durant  l’insurrection de Varsovie, Rolke agit en tant qu’agent de liaison à Sadyba. A partir de cette époque,  Rolke commence à s’intéresser aux techniques de photographie, grâce à un magazine allemand « Die  Wermacht, Der Adler ». Le Kodak BabyBox fut son premier appareil photo. De petite taille  rectangulaire, c’est un appareil nomade très pratique qui permit à Rolke de s’adonner à la  photographie de rue. Ce premier appareil photo est assez symbolique puisqu’il a été sauvé des  décombres durant le soulèvement de Varsovie durant l’année 1944, par sa mère qui connaissait la  passion de son fils. Quelques-unes de ses premières photographies ont survécu, tel que celle de la  rue Kredytowa. En 1945, il a été envoyé contre son gré comme gastarbeiter en Allemagne. C’est  durant cette période qu’il s’est destiné à devenir photographe.


Après la Seconde Guerre Mondiale, il a étudié l’histoire de l’art à l’Université de Lublin puis à  Varsovie. Mais, en 1951  il est soudainement arrêté et emprisonné, car il est soupçonné d’avoir  participé activement au « mouvement universaliste ». Rolke fut condamné à sept années de prison  ferme pour « participation à une organisation illégale et pour avoir gardé des documents illégaux à  l’ambassade ». Par chance, il a pu être libéré prématurément grâce à une amnistie. Cependant, ce  tragique épisode l’empêcha de réintégrer le cursus universitaire, mais le jeune Rolke  ne s’est pas laissé abattre et a trouvé un emploi dans un laboratoire de photo-technique à la Polish Optical Works de  Varsovie. Quelques années plus tard, en 1955, il fut embauché au Slide Workshop ul. Ogradowa en  tant que photographe, c’est là où sa carrière débute. Parallèlement il collabore avec des magazines  tel que Świat Młodych et Stolica. Un an plus tard, il est devient le photographe personnel de Stolica  et est chargé de documenter le rassemblement historique de Gomulka. 

Dans les années 60, il rejoint Polska un quotidien polonais où il y retrouve ses confrères Marek  Holzman, Irena Jarosinska et Eustachy Kossakowshi. Tout en se consacrant à ses propres projets  photographiques.


Tadeusz Rolke est à la fois photo-journaliste et photographe de mode. Il s’intéresse à de nombreux sujets tel que la mode ou les sujets de nus mais se sert avant tout de son objectif à des fins documentaires. Il photographie la ville de Varsovie de son occupation par les nazis, les ruines, jusqu’à la ville reconstruite dans les années 1960, puis son évolution sous la domination  communiste jusqu’à la chute de l’URSS. La ville est presque toujours photographiée à travers ses habitants, très souvent au premier plan, comme nous pouvons le voir dans ce cliché (Eustachy Kossakowski et Joanna Matylda Fiszer , 1960), il y conjugue sa passion pour la mode et son ambition documentaliste.

Une grande partie de son travail est animé par la photographie de son pays, mais grâce à son statut de photo-journaliste cela lui permet de pouvoir photographier la Russie.

La volonté de saisir le moment est très présente  dans l’Oeuvre de Rolke, et on le voit notamment à travers ses clichés d’artistes majeurs contemporains tels que Joseph Beuys, Gerhard Richter ou encore Joseph Kossuth. 

Rokle est de cette génération de photographe engagée qui  a dépeint l’Histoire sous son objectif et qui continue de nos jours.


– Sacha Hédou



Photographer Eustachy Kossakowski and Joanna Matylda Fiszer, 1960 Fot. Tadeusz Rolke /  Agencja Gazety.

Tadeusz Rolke. A girl against the backdrop of the Palace of Culture and Science, 1960.

Page du catalogue de l’exposition “Taudeusz Rolke : Fotografie Warszawskie” à la galerie Dom Spotkan z Historia, Varsovie, du 21 mars au 9 juin 2019.

Faire corps, par la poésie et la performance.

Maurice Merleau-Ponty, en écrivant que « ce n’est pas à l’objet physique que le corps peut être comparé, mais plutôt à l’œuvre d’art […] »[1] nous rappelle la porosité des rapports entre art et vie. A ce titre, la démarche d’Ana Mendieta (1948-1985), au croisement du body art et du land art, se construit sur le traumatisme de l’exil, après la séparation avec sa terre natale, Cuba. L’artiste met en rapport son récit personnel avec ses recherches autour des mythes premiers, dans la série des Siluetas (1973-1980) : à la fois sculpture, performance et installation. Cette rencontre corporelle avec la nature se fait voix dans la poésie d’Aurélie Foglia, dont le recueil Grand-monde (éditions Corti, 2018) est « tourné vers les arbres », selon le mot de l’éditeur. Ces deux démarches se livrent à une proximité sensible et plastique avec l’environnement, par la performance ou les vers libres, et renouvellent l’expérience de l’hybridation du corps avec la nature, questionnant les limites corporelles.

            En effet, pour que la forme de ses courbes épouse la surface du sol, Ana Mendieta remodèle l’environnement. Cette volonté de « faire corps » nécessite alors un protocole pour inclure la nature dans une démonstration artificielle : « Le corps ou la silhouette, l’empreinte, de l’artiste n’est pas en réalité l’objet de la performance, il n’en est que le vecteur, c’est la raison pour laquelle il s’évanouira progressivement au profit d’actes rituels aboutissant dans les années 1980 à des sculptures totems »[2]. Dans près de deux-cent performances photographiées ou filmées, la plasticienne façonne une silhouette d’après la forme de son propre corps, qui lui sert de « matrice ». Ce modelage du corps sensible diffère chez Aurélie Foglia lorsqu’elle écrit : « nous creusons nos lits / dans leurs bras // par quelle opération sauvage habitons / nous leurs corps » (p. 37). Il ne s’agit dès lors plus seulement d’une étreinte avec la nature, mais d’une véritable incorporation, par le corps et les sens, où le je poétique se fait une place au sein de l’arbre. « Entre sculpture vivante et performance sculpturale »[3], le corps d’Ana Mendieta se rapporte ensuite à plusieurs temporalités. En se fondant, par des actions ritualisées, avec les éléments d’un site géographique, voire archéologique, l’artiste fait donc de son corps la jonction entre l’éphémère et le temps immémorial de sa terre natale. La simplification du corps de la performeuse montre aussi un rapport ambigu à la nature car, perdant sa matérialité, le corps est réduit à une ébauche de forme creusée dans la terre.

Figure 1: Ana Mendieta, Alma. Silueta en fuego, 1975 © Estate of Ana Mendieta, courtesy Galerie Lelong.

            Pour mener à bien la relation entre corps et nature, la poétesse et l’artiste font appel à une union sensorielle qui se manifeste par une synesthésie ou par la multiplication des éléments naturels. D’une part, Aurélie Foglia donne une certaine matérialité à la poésie, en marquant des coupes et des rejets : « malgré leurs doigts cas / ssants tricotent l’éter / nité » (p. 62). L’utilisation de l’italique, variation graphique que l’on pourrait interpréter comme un bruissement dans le feuillage, convoque l’œil et l’ouïe. Introduction à la conception d’Ana Mendieta, d’autre part, certains vers disent véritablement la fusion inter-élémentaire : « j’ai / jeté mon corps et je l’ai laissé // là roulé dans l’harbre […] » (p. 135). A la fois herbe et arbre, sol terrestre et élévation, le néologisme « harbre », rappelle le procédé de la plasticienne qui : « fait naître des centaines de corps à la matérialité fragile, tremblante, vaporeuse et éphémère, faite d’eau, de terre, de feu ou d’air. »[4]. Dans un entretien, l’artiste précise : « I’m not interested in the formal qualities of my materials, but their emotional and sensual one. »

            En tant que lieu à partir duquel se déploient les sens, le corps est moins une enveloppe – une écorce chez Aurélie Foglia – qu’une métaphore du paysage. Dans Grand-Monde, l’allusion aux paysages intérieur et extérieur se loge dans les vers suivants : « j’avais trouvé un paysage à être / un intérieur avec vue sur le flux / il est dans ma nature » (p. 83). La situation de médiation et de réception des choses par le corps en fait par ailleurs un « touchant-touché » et un « voyant-vu », selon Maurice Merleau-Ponty. Du reste, les arbres du recueil battus par le vent sont anthropomorphes ; leur mouvement se fait geste. Peu à peu, se tisse un langage commun entre le je et les arbres : « je croise un arbre avec moi / dans la confusion // nous n’avons pas parlé de nous » (p. 133).

Figure 2: Ana Mendieta, Sans-titre, © Estate of Ana Mendieta, courtesy Galerie Lelong, New York.

          En déclarant : « My art is grounded on the belief in one universal energy which runs through everything. », Ana Mendieta rappelle son mysticisme. Des silhouettes que son corps creuse dans le sol, elle tire des formes archaïques et vulvaires. Le mouvement d’enfoncement se veut, chez elle, retour au sein d’un tout qui la dépasse. Cette quête de l’unité primordiale trouve un écho dans une formule d’Aurélie Foglia : « je sommes » (p. 75). L’expression ainsi modelée ne supprime pas les sujets, mais dévoile un tiers, formé de plusieurs subjectivités.

Figure 3: Ana Mendieta, Untitled, 1978, Iowa, courtesy Galerie Lelong, New York © Estate of Ana Mendieta Collection.

            Dans l’une des monographies qui lui est consacrée, Ana Mendieta rapporte qu’elle a maintenu « le dialogue entre le paysage et le corps féminin (basé sur [sa] propre silhouette) […] »[5] et compare l’arrachement à sa terre natale au fait d’avoir été « jetée de l’utérus ». Tout son processus créatif retentit du besoin de revenir à la terre-mère, par les sculptures « corps-terre » définies comme des corps telluriques et métaphoriques. Dans sa quête de fondement tutélaire, Aurélie Foglia convoque, quant à elle, la responsabilité nourricière des arbres : « Ils nous ont élevés / nourrissons de feuilles / allions nos corps / somnolents sous / leur bâche » (p. 19).

Dépendant d’un enfouissement du corps, le retour à l’unité se fait matériellement et spirituellement. Anne Creissels voit notamment dans le « double mouvement de marquage et d’effacement », une « inscription du corps correspondant en effet à la perte de l’identité. »[6] Elle poursuit son analyse en mêlant le corps, qui cherche à s’anéantir dans le sol, et la ruine. Avec lucidité, Aurélie Foglia convoque cette perte d’individualité : « je ne suis pas très je / dans mon bain d’arbre » (p. 129). Par la mise à / en terre, l’absence de mouvement renverrait de fait à une négation du corps et de l’identité. Selon Isabelle Hersant, le corps dans Flowers on Body, « Réellement présent sous la figure de son recouvrement[…] n’est certes pas encore devenu la trace qui le représentera ensuite comme pure présence de la silhouette simplement marquée au sol – absence définitive du corps qui reviendra en chaque Silueta » (p. 84). Ce sont donc des gestes rituels, presque funéraires, qui permettent l’enfouissement, impliquant l’idée d’un devenir, d’un cycle[7].

Figure 4: Imagen de Yagul, 1973, ci-contre, © Estate of Ana Mendieta, courtesy Galerie Lelong, New York.

            Enfin, cette obsession pour l’enfouissement relève d’une réflexion plus large sur la trace et la mémoire du corps, pendant la performance, et après son déroulement. Isabelle Hersant se sert de l’étymologie de « photo/graphie », pour pointer l’importance de l’écriture dans le processus créatif : la captation est « l’image de la Silueta [qui] se réalise de fait en tant que trace de la trace ». Selon elle, la photographie représente alors ce qui « reste », puisque les Siluetas s’évanouissent dans l’environnement au moment où elles surgissent. L’artiste évoque cette volonté de graver les traces de son passage, en rapportant : « In 1973 I did my first piece in an Aztec tomb […] I bought flowers at the market, lay on the tomb, and was covered with white flowers. The analogy was that I was covered by time and history ». En réinvestissant le corps humain, le body art vise finalement à matérialiser la mémoire.

            Englouti dans le paysage, le corps exprime donc un geste artistique de communion. Si Aurélie Foglia finit par unir les règnes humain et végétal, le corps de l’artiste témoigne d’une double nature, qu’il inscrit dans le lieu, où il devient trace. L’enfouissement du corps, partie intégrante du travail d’Ana Mendieta, intensifie la précarité et la fugacité d’un « être-au-monde », et rompt l’altérité.

Aliénor


[1]Merleau-Ponty, Maurice, Phénoménologie de la perception, 1944, Gallimard, p. 176-177.

[2]Grizard, Thierry, « Ana Mendieta, je suis une sculpture », publié le 11 décembre 2018 pour Artefiels.net.

[3]Grizard, Thierry, idem.

[4]Dejoie, Caroline, « Pour une lecture d’Ana Mendieta en sorcière queer et féministe », En marges !, n°2, 2018.

[5]Kuspit, Donald ; Moure, Gloria (et. al), « Ana Mendieta, Antonomus Body », Ana Mendieta, 2001.

[6]Creissels, Anne, Prêter son corps au mythe : le féminin et l’art contemporain, collection Les marches du temps, Le Félin-Kiron, Paris, 2009, p. 62.

[7]Grizard, Thierry, op. cit.

Les représentations de la neige et de l’hiver en peinture.

La représentation de la neige et des paysages en hiver ont longtemps fait partie des genres mineurs  avant de devenir des représentations  nombreuses et diversifiées de la peinture. Il ne faut pas oublier que ce blanc immaculé, sur le point technique, reste complexe à représenter.

Par ailleurs, ces paysages enneigés étaient loin d’être idylliques, aujourd’hui nous les associons ces paysages à des moments de festivités, de longues balades en famille, jeux d’enfants dans la neige, mais l’hiver est avant tout redouté. Nous sommes loin des batailles de boule de neige, comme nous pouvons le voir dans le clip de WHAM !, Last Christmas,  autour des festivités de Noël[1].

L’hiver est avant tout une saison rude, représentée sous les traits de vieillards et vieillardes. L’ hiver, associé à la mort, à la disparation du vivant, le mythe gréco-romain de Déméter/Perséphone (Cérès/Proserpine) le montre bien, l’hiver est un moment de chagrin.

La couleur blanche, ou la non-couleur blanche, comme le précise Léonard de Vinci, est celle qui reflète toutes les lumières. « Le blanc n’est pas une couleur par lui-même ; il est le contenant de toutes les couleurs » [2]

Dans un premier temps, elle est faite à base d’argile et de talc pour les peintures rupestres en Occident[3]. Par la suite, la méthode néerlandaise, au XVIIe siècle, utilise du fumier de vache et de cheval avec du plomb et du vinaigre. Le mélange devait passer trois mois dans une pièce fermée. Le blanc de plomb était alors le plus répondu dans l’usage de la peinture, parfois du brun et du bleu  étaient utilisées pour créer l’illusion de la neige, comme a pu le faire Monet. Le blanc de plomb est utilisé jusqu’en 1978, date à laquelle  les États-Unis ont interdit  son usage, rappelons que le plomb était aussi utilisé pour blanchir la peau et qu’il est extrêmement toxique[4]. Les blancs de titane et de zinc sont désormais préférés, mais la recherche d’un blanc pur en peinture est un défi technique en soi. Cette année, une nouvelle formule a été mise au point. Cette nouvelle peinture refléterait 99,5% de la lumière, une découverte non négligeable, qui pourrait être un moyen de lutte efficace contre le réchauffement climatique et au besoin de réduire notre consommation d’énergie[5].

Ces grands espaces blancs, outre l’aspect esthétique et technique, fascinent aussi les explorateurs, se sont des espaces qui sont à découvrir. Cet intérêt pour les explorations se fait grandissant du XVIIIe au XIXe siècles. Ces dernières ont des enjeux scientifiques et économiques et sont immortalisées en peinture.

Auguste Biard, célébré pour ses paysages de désert blanc, illustre cette fascination pour ces espaces.

Le duc d’Orléans, avant de devenir le roi Louis-Philippe, parcourt le monde durant son exil. Les grands espaces du Nord l’intriguent, entre avril et décembre 1875, il part voyager en Laponie sous un faux nom. Il parcourt notamment la Norvège et la Suède. Après son accession au pouvoir le roi se sert de son profil d’aventurier pour se créer l’image d’un roi valeureux, affrontant tous les dangers et donc à même de pouvoir protéger son peuple. Le peintre Biard immortalise ses aventures avec ce tableau : Le duc d’Orléans descend le grand rapide de l’Eijampaïka sur le fleuve Mionio, en Laponie, août 1795, montrant un homme sûr de lui, malgré les dangers d’un tel voyage[6].

Après son accession au pouvoir, il relance les expéditions dans le Nord. Ne l’oublions pas cette fascination n’est pas que purement intellectuelle, elle répond avant tout à des intérêts politiques et financiers. Ce n’est pas qu’une simple fascination scientifique, c’est un moyen aussi de mieux connaître le  territoire avant de possibles conquêtes. Cette fois-ci, Biard fait partie du voyage et immortalise dans nombre de ses toiles, plus ou moins réalistes, les péripéties de cette expédition. Il se rend en Laponie et au Spitzberg à bord de la corvette La Recherche. Le voyage s’effectue dans des conditions particulièrement difficiles de 1835 à 1839. Plusieurs toiles sont peintes comme Magdalena Bay ou encore le décor au jardin des Plantes à Paris[7].

La photographie en est encore à ses débuts et la présence de dessinateur pour les scientifiques est alors primordiale. Le peintre et l’autrice Léonie Aunet rejoignent la campagne seul-es, puisque les femmes ne sont pas acceptées, elle doit se travestir en homme. En 1854 elle publie Voyage d’une femme au Spitzberg.

De ce voyage nous pouvons retenir la toile Embarcation attaquée par les ours blancs  en 1839. Cette œuvre n’est pas sans rappeler les démêlés des personnages de Delacroix en prise avec les lions, ou encore La Barque de Dante ou Dante et Virgile de 1822.

Figure 1 : Embarcation attaquée par les ours blancs, huile sur toile, 131 × 163 cm,  Leipzig, Musée des Beaux-Arts. BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image MdBK[8]

Un double combat à mort est alors engagé entre la nature peu hospitalière et entre les animaux.

Magdalena-Bay, vue prise de la presqu’île des tombeaux, au nord du Spitzberg; effet d’aurore boréale[9], est un tableau non pas impressionnant par sa taille mais par ce qu’il représente. Notre regard est happé par l’immense iceberg en arrière plan, puis notre regard se porte sur une masse de couleur sur ce blanc. Des humains recouverts de neige, agonisants sont au centre de la composition. Des traces de pas sont visibles, sans doute pour courir chercher de l’aide.

Figure 2 et 3 :  Le duc d’Orléans descend le grand rapide de l’Eijampaïka sur le fleuve Mionio, en Laponie ; Magdalena-Bay, vue prise de la presqu’île des tombeaux, au nord du Spitzberg; effet d’aurore boréale

Pour d’autres, la fascination pour ces paysages se fait depuis leur atelier, comme le peintre Frederic Erwin Church, qui, dès 1861, multiplie les peintures autour de ces thèmes.

Figure 4 : The Icebergs, 1861, huile sur toile, 163,8 x 285,7 cm, numéro d’inventaire : 1979.28 Dallas Museum of Art

 Les représentations des paysages enneigés ne datent pas du XIX e siècle, dès les Moyen Age, la neige est régulièrement représentée dans le cadre de scènes religieuses, allégoriques par exemple.

L’art italien commence à représenter une nature, qui s’approche d’une forme de réalisme. L’hiver et aussi représenté sous un autre jour, les activités extérieures sont désormais représentées comme le montre Ambrogio Lorenzetti : Les effets d’un bon gouvernement en ville et à la campagne (1337-39)[10]. Un homme sous la neige est représenté tenant une boule de neige dans ses mains.

Figure 5 : détail de la fresque

Nous pouvons ainsi relever la représentation du mois de février dans les Très Riches Heures  du Duc de Berry par les frères Limburg, une scène d’intérieur, mais aussi des activités agraires. Nous restons sur une vision idéalisée de l’hiver avec un foyer aisé, qui ne semble pas souffrir de la dureté de l’hiver. 

Figure 6 : Les Très Riches Heures du duc de Berry Folio 2, verso : février, entre 1412-1416, enluminure sur velin, 22,5 x 13,6 cm, musée du Condé, numéro d’inventaire : Ms.65, f.2v

Par la suite, l’hiver, donne lieu à un véritable intérêt dans le genre du paysage. Les représentations se font de plus en plus nombreuses. Les précurseurs en la matière sont les peintures du Nord, notamment les Brueghel l’Ancien et le Jeune.

 Figure 7 : Le Paiement de la dîme ou Le Dénombrement de Bethléem d’après Brueghel l’Ancien, huile sur bois, 110 x l60 cm, Musée des Beaux-Arts de Caen

 Nous voyons une scène d’inspiration religieuse [selon  l’Évangile selon saint Luc (II, 1-5), à la demande de l’empereur Auguste, les habitants doivent se soumettre au recensement dans sa ville de naissance. Joseph et Marie doivent se rendre en Judée pour l’accomplir], mais dont le traitement reste profane[11].

Nous avons alors deux conceptions des scènes hivernales, des scènes où nous observons des activités de patinage qui sont fréquentes, ou alors des scènes aux accents dramatiques qui insistent sur la nature en sommeil et les rigueurs de l’hiver.

Ces représentations des scène hivernales sont  à corréler par une forte demande des mécènes, mais aussi à mettre en lien avec le contexte climatologique de l’époque. Dès le XVe siècle, nous constatons des hivers plus rudes, et ce que jusqu’au XIXe siècle, avec des périodes plus ou moins prolongées. Notamment en France, en 1709 , sous le règne de Louis XIV «  Le Grand hiver » marque les esprits. Les peintres-ses sont donc attentifs-ves aux changements qu’iels observent.

 La production des peintres du Nord, dont néerlandais est alors en abondance, dont Jan VAN GOYEN, L’Hiver[12].

François Boucher, à la demande de Mme de Pompadour, produit un cycle des saisons, dont l’hiver prend le visage d’une jeune noble, habillée à la mode de l’époque, peu préparée à l’hiver. Boucher présente l’hiver comme « une saison charmante » : Les Quatre Saisons : L’ Hiver[13].

Figures 8 et 9 : BOUCHER, Les Quatre Saisons : L’ Hiver[14]. Jan VAN GOYEN, L’Hiver[15].

Au XVIIe siècle, les représentations se raréfient et il faut attendre le XIXe siècle pour remarquer un retour du paysage hivernal.

Dans les œuvres de Caspar David Friedrich, ses paysages arborent des allures inquiétantes. Il privilégie le fait que l’homme ne peut rien face à la nature, il ne peut la maîtriser, rendant à la fois ces paysages fascinants et inquiétants. 

On observe alors des prouesses esthétiques, des savantes compositions entre la neige et le ciel d’un bleu profond, rendant à la fois ces paysages fascinants comme inquiétants.

Figures 10 : Ivan Shishkin, In the Wild North, 1891, huile sur toile, 161 x 118 cm, National Art Museum of Ukraine (NAMU), Kyiv, Ukraine.

L’art allemand crée quant à lui des paysages angoissants, nostalgiques, comme Caspar David Friedrich : Mönch im Schnee [16].

Pour les peintres de l’Europe de l’est et du nord, cela donne lieu à des scènes de genre, de leur vie quotidienne et nous sommes  loin d’une image strictement bucolique.

Alfred von Wierusz-Kowalski – Pferdeschlitten im Schnee von Wölfen bedroht [17] .

L’exposition des impressionnistes canadiens au musée Fabre mettait aussi à l’honneur ces représentations. Ces peintres décrivent la vie sous la neige, la fumée des usines en contraste avec le manteau neigeux, ou encore les activités en lien avec ce dernier.

Figures 11 et 12 : Caspar David Friedrich, Mönch im Schnee ; Alfred von Wierusz-Kowalski – Pferdeschlitten im Schnee von Wölfen bedroht.

Maurice Cullen : Hiver à Moret, 1895 et La récolte de la glace, v. 1913 par exemple[18]


Figures 13 et 14 : Maurice Cullen, Hiver à Moret, 1895. Huile sur toile, 59.7 × 92.1 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario ; Maurice Cullen, Détail de La récolte de la glace, v. 1913. Huile sur toile, 76.3 × 102.4 cm,  Musée de beaux-arts du Canada, Ottawa Photo: MBAC.

La peintresse Louise Abbéma nous offre une vision très contemplative de l’hiver, à l’opposé de l’effervescence de la ville, où là encore l’individu est seul plongé dans ses pensées en pleine nature. Le personnage semble être Sarah Bernhardt, compagne de l’artiste[19].

Figure 15 : Louise Abbéma, Portrait de Sarah Bernhardt (?) dans un paysage enneigé.

Dans Winter Scene, aux allures anodines, Martha Levy décrit aussi les conditions de vie difficiles en hiver. Elle représente aussi  un homme ou une femme marchant dans la neige, probablement une scène qu’elle a duu vivre puisqu’elle vivait dans la colonie d’artistes près de Woodstock. Elle a pu  montrer la nécessité de chasser pour survivre. C’est une pratique aux résultats aléatoires, ce qui renforce notre sentiment de malaise en regardant cette peinture. Elle montre aussi la solitude[20].

Figure 16 : Martha Levy,  Huile sur toile, 1934,  54.6 x 69.5 cm, Smithsonian American Art Museum.

Natalia Gontcharova en 1911 joue sur les couleurs, la neige tend vers le bleu et le violet. Gabriele Münter, autre figure importante de l’art du XXe siècle, nous livre des paysages enneigés qui bouleversent les critères artistiques récents.  Neige colorée ou blanche, les formes géométriques composent ses paysages. Ces deux artistes nous transportent dans leurs univers, leurs essais.

Figures 17 et 18 : Gabriele Münter,  Häuser im Schnee, 1933 ; Natalia Gontcharova, Frost, 1911.

Tout comme Dee Nickerson, ses paysages enneigés sont idéalisés et réconfortants, des animaux peuplent ses compositions, la nature est encore verte.

Figure 19 :  Snow cats, 2020, acrylique sur carte, 18 x 18 cm, Blondes Fine Art.

Une exposition qui s’est tenue au musée Guimet, Fuji, pays de neige [Du 15 juillet au 12 octobre 2020] nous rappelle l’importance des représentations des paysages hivernaux dans l’art japonais. Le Mont Fuji est considéré comme une montagne sacrée depuis au moins le VIIe siècle, devenu même lieu de pèlerinage. Cependant, celui-ci était fermé aux femmes jusqu’à l’art Meiji (1868-1912).

Yashmia Gakutei, par exemple, dans un cycle d’estampes, représente cette ascension. Hokusai, avec ses trente-six vues, reste le représentant le plus célèbre du Mont Fuji.

L’art inuit, bien évidemment  a aussi exploré et explore toujours les liens entre leur mode de vie, la rudesse de l’environnement dans lequel iels vivent. Kinuajuak Asivak, grande artiste inuite, a représenté notamment  une œuvre qui reflète le schéma circulaire de la vie des Inuit. ( Inuk désigne une personne, Inuuk deux, et Inuit plus de trois personnes)[21]. Elle montre comment la vie communautaire dans l’Arctique est intimement liée au climat et aux saisons. Elle décrit les forts liens qui subsistent entre leur habitat, la nature et la faune.

N’étant pas spécialiste,s malheureusement nous ne pouvons pas développer cette partie comme nous l’aurions voulu, mais nous invitons à vous rendre sur ces liens pour en savoir plus :


Figures 20 et 21 : Katsushika Hokusai, Morning after the Snow at Koishikawa in Edo (Koishikawa yuki no ashita), issu de trente-six du Mont Fuji, (Fugaku sanjūrokkei), v. 1830-1832, gravure sur bois, encre et couleur sur papier, 25,7 x 38, 3cm, numéro d’inventaire : JP1330, MET ;  Kenojuak Ashevak, Nunavut Qajanartuk, 1992, lithographie en couleur, West Baffin Eskimo Cooperative.

Pour prolonger votre visite dans les paysages enneigés, nous vous invitons à suivre ces comptes :

#WOMENSART (@womensart1) / Twitter

Ralph Harrington sur Twitter : « Day 20 of the Women Artists #AdventCalendar 2020: Fanny Churberg (1845-1892), « Winter Landscape: Evening Atmosphere », 1880. Finnish National Gallery. Dedicated to the #WomenArtists whose careers were constrained or cut short by family responsibilities. #WomensArt https://t.co/cs8bxtmQjo » / Twitter


[1]    Un classique à écouter pour le Noël de 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=E8gmARGvPlI

[2]    P. 172 in BLANC Charles, La peinture : grammaire des arts du dessin, H. Laurens, Paris, 1886, 279 p. [Numération de la BNF].

[3]    MENU Michel, «  L’analyse de l’art préhistorique », L’Anthropologie,  volume 133, issues 3-4,  2009, 547-558 p, mis en ligne le 07 novembre 2009, consulté le  02 janvier 2021. URL : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552109000867.

[4]    GOTTESMAN Sarah, A Brief History of Color in Art – Artsy, mis en ligne le 20 mai 2016, consulté le 02 janvier 2021. URL : https://www.artsy.net/article/the-art-genome-project-a-brief-history-of-color-in-art.

[5]    LANOT Lise, « Des scientifiques ont créé le blanc « le plus blanc du monde' » », Knbini Arts, mise en ligne le 09 novembre 2020, consulté le 02 janvier 2021. URL : https://arts.konbini.com/peinture/des-scientifiques-ont-cree-le-blanc-le-plus-blanc-du-monde/.

[6]    BENOIT Jérémie , « Le duc d’Orléans en Laponie », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 02 janvier 2021. URL : http://histoire-image.org/fr/etudes/duc-orleans-laponie. Huile sur toile, 131 x 163 cm, Château de Versailles, numéro d’inventaire : MV 5183.

[7]    BENOÎT Jérémie, « Le duc d’Orléans en Laponie », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 27 novembre 2020. URL : http://histoire-image.org/fr/etudes/duc-orleans-laponie

[8] Sources : Beaux-Arts Magazine, article de Louis Gevart pour le cartel, mis en ligne le 4 juin 2019, consulté le 02 janvier 2021 : https://www.beauxarts.com/expos/francois-auguste-biard-un-romantique-aux-confins-du-grand-nord/ . Une exposition doit se tenir à la Maison de Victor Hugo, à Paris.

[9]    Vers 1840, Salon de 1841, huile sur toile, 130 x 163cm, Musée du Louvre, numéro d’inventaire : INV. 2578.

[10]   Fresque, 200 x 3500 cm ( en totalité), Palazzo Publico, Sienne.

[11] MUSEE DES BEAUX ARTS DE CAEN, Caen-MBA-Parcours Paysage-2019, mis en ligne en 2012, [mis à jour en 2019], consulté le 02 janvier 2020. URL : https://mba.caen.fr/sites/mba/files/2019-11/4.Caen-MBA-Parcours%20Paysage-2019.pdf.

[12]    D’autres œuvres sont visibles sur le site du Rijksmuseum. C’est une allégorie, formant un pendant avec l’ été.  Huile sur panneau de bois, tondo de dimatre 33,4 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, numéro d’inventaire : SK-A-3946.

[13]    1755, huile sur toile, 56, 8 x 73 , 00 cm, The Frick Collection, numéro d’inventaire : 1916.1.15.

[14]  D’autres œuvres sont visibles sur le site du Rijksmuseum. C’est une allégorie, formant un pendant avec l’ été.  Huile sur panneau de bois, tondo de dimatre 33,4 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, numéro d’inventaire : SK-A-3946.

[15]  1755, huile sur toile, 56, 8 x 73 , 00 cm, The Frick Collection, numéro d’inventaire : 1916.1.15.

[16]  Ruines du couvent Eldena, 1808, détruit en 1931,  huile sur toile, 73, 0 x 106, 0  cm, Neue Pinakothek , Munich.

[17]  Artiste polonais  du XIX- début du XXesiècle , plusieurs scènes sous la neige sont visibles. Cette dernière représente un convoi avec des chevaux qui essayent d’échapper au loup.

[18]  Fabre dans mon canapé (montpellier3m.fr) , le musée a développé un podcast, une vidéo et une visite interactive de l’exposition.Réflexions et interprétations. Les artistes canadiens, de l’impressionnisme au modernisme | Musée des beaux-arts du Canada (beaux-arts.ca)

[19]  Oeuvre mise en vente par Soteby’s, à la demande de Sarah Bernhardt, Louise Abbéma documente son voyage à Ne York, où elle est en tournée en 1880. Huile sur toile, 41,2 x 31, 1 cm.

[20]  Huile sur toile, 1934,  54.6 x 69.5 cm, Smithsonian American Art Museum. URL : https://americanart.si.edu/artwork/winter-scene-25439.

[21]Source : tulugatsiaq❄️?¬ント️ sur Twitter : « Inuit isn’t a tribe, we don’t have tribes. Inuit means people so u don’t have to say Inuit people cuz that’s People people. Inuk is one person, Inuuk 2 people, 3 or more Inuit, so u don’t have to put an S after Inuit (like Inuits). » / Twitter.

Tribune à Aya Nakamura

Née à Bamako en 1995, Aya Daniako, connue sous le nom d’Aya Nakamura, est  considérée comme la figure féminine de la nouvelle vague musicale R&B/Soul française et est  aujourd’hui la chanteuse française la plus écoutée dans le monde.

Aya Nakamura pour « The New York Times »

À l’occasion de la sortie de son  dernier album Aya , il serait temps de revenir sur la femme, l’artiste, la mère qu’est Aya Nakamura.  Étant une grande fan de l’artiste, mes mots ne seront pas très objectifs mais je  sais de source sûre qu’il est rare de voir des artistes comme Aya Nakamura, sincères et vraies dans leur  musique et qui  ne cherche pas à jouer un rôle. C’est son naturel qui prime, elle ne ment pas, elle ne  cherche pas à plaire mais plaît pour ce qu’elle est. Aya Nakamura ce n’est pas seulement une voix parmi  d’autres, ce n’est pas seulement une mélodie qui résonne dans nos oreilles le temps d’un instant,  c’est l’image et la parole d’une nouvelle ère. Une ère diversifiée, métissée, qui dit haut et fort ce  qu’elle veut et surtout ce qu’elle ne veut pas, l’indifférence. À l’image de la jeunesse française  actuelle, Aya Nakamura représente un espoir, un modèle de réussite, la réussite d’une femme noire mais surtout la réussite d’une femme. Comme elle-même le dit face à Mouloud Achour dans Clique1, « avant d’être une femme noire je suis  une femme ». Une femme qui a trop souvent fait face aux critiques sexistes et racistes dès le début de sa  carrière et encore aujourd’hui. C’est pourquoi cette tribune, je la lui dédie.

Aya Nakamura, album « Aya », novembre 2020

Dans son premier album Journal Intime, sorti en août 2017, Aya Nakamura se livre sans artifices, les cris du coeur d’une  femme d’apparence blessée en chantant sa souffrance dans « Brisé », elle écrit « Je n’ai pas besoin de toi » et « Moi » afin de montrer qu’elle continue à vivre en tant que femme assumée et  indépendante. Sans oublier les hommages musicaux, avec « Oumou Sangaré » qu’elle dédie à  son pays d’origine, le Mali. Ce premier projet musical a montré qui était Aya Nakamura, arrivée sur le devant  de la scène avec ses rêves et une vision bien précise de la musique. S’en est suivi un succès qui  n’a fait que s’accroître ; en l’espace d’un an, elle est devenue l’une des chanteuses les plus écoutées  dans le monde malgré un parcours semé d’embûches.

Aya Nakamura, album « Journal Intime », août 2017

À la sortie en novembre 2018 de son second album Nakamura portée par les morceaux phares comme « Djadja » et « Sucette », Aya Nakamura s’impose à part  entière dans le milieu de la musique, son style est nouveau et déchaîne les foules.

Aya Nakamura, album « Nakamura », novembre 2018

Des femmes noires qui réussissent dans le monde de la musique on en voit peu,  pour certains Aya Nakamura fut le changement tant attendu, la possibilité de donner la voix à tous et aussi à ceux qu’on veut oublier, par la musique qui est une langue universelle. 

Mais Aya Nakamura n’échappe pas aux critiques, elle en est même souvent la proie d’insultes racistes et de critiques sexistes, elle a affirmé avoir été victime de «  misogynoir » tant du côté du public, avec des insultes souvent liées à sa couleur de peau, que du  côté professionnel quand un directeur artistique d’une grande maison de disques lui avait  conseillé de se blanchir la peau pour toucher un plus large public. Beaucoup critiqueront sa  musique mais comme on dit « une musique sonne toujours mieux dans les oreilles d’une  personne que de son collègue ; c’est là toute la magie de la subjectivité, qui fait qu’en matière  artistique tout se vaut, mais rien n’est apprécié de manière uniforme. »2

On peut parler du concept d’intersectionnalité à travers cette double discrimination qu’elle subit encore, qui traduit de la disposition de certains individus à être victimes de différents types de discrimination à la fois. Cette notion d’intersectionnalité fut essentielle dans les travaux sur les luttes féministes en France car elle pose la question d’un nouvel espace d’identification pour des millions de femmes dans le monde. Mais malgré cela elle n’a jamais changé et a  gardé la même ligne de conduite être soi même. Et cela a merveilleusement bien fonctionné. En 2019 elle a reçu le BET Award du meilleur artiste international, elle a reçu également de  nombreuses récompenses et le 3 janvier 2020, il était annoncé que la chanteuse se produirait au festival Coachella à Los Angeles, considéré comme l’un des plus grands festivals annuels aux États-Unis  et dans le monde. Malgré l’annulation du festival cette année, face à la crise sanitaire, Aya Nakamura a su tenir sa place dans le monde de la musique, en France et à l’international.

Ici l’album Aya affiché à Times square en novembre 2020

L’un de ses messages c’est la persévérance, la force de croire en soi malgré les barrières qu’impose la  société aux marges dont elle fait partie. Avec son dernier album Aya tout récemment sorti, elle a offert à son public un  nouveau chapitre de sa vie. On découvre une femme changée et comblée comme « Fly » le décrit  si bien, Aya a atteint les nuages. Avec le morceau « Préféré » Aya Nakamura a su casser les codes imposés par la société, elle y parle ouvertement de sexualité en toute simplicité et honnêteté et c’est quelque chose que l’on entend rarement, des femmes chanter sur leurs désirs et leurs envies. Avec ses collaborations avec deux grands artistes de la musique  anglaise, Stormzy et Ms Banks dans « Plus jamais » et « Mon Lossa », on comprend rapidement  que Aya Nakamura a livré un projet plus mature, plus engagé et qui progresse considérablement vers la  scène internationale. Alors quoi qu’on dise de l’artiste qu’est Aya Nakamura, sa musique elle la  chante, la vit et la transmet.  

Aya Nakamura pour Paris Match

Malou Galopin
Aka @bbrowwnsugar
(Instagram/Twitter)

1 :  https://www.youtube.com/watch?v=vpRnyqw1fBI&ab_channel=CliqueTV

2: Article de Maximilien, « La musique populaire », publié sur History of art Bastards https://historyofartbastards.wordpress.com/2020/07/09/la-musique-populaire/

Sources et recommandations webographiques, pour entendre Aya Nakamura parler d’elle-même:

https://www.mouv.fr/musique/aya-nakamura-la-cover-d-aya-affichee-times-square-new-york-364884

https://www.lefigaro.fr/musique/aya-nakamura-une-diva-de-tous-les-records-20201126

Les stéréotypes de genre au cinéma – Episode 1

Avec ce premier article, nous inaugurons aujourd’hui une mini-série dédiée au décryptage, à la dissection de différents films selon un prisme bien précis : celui des stéréotypes de genre. Qu’ils soient des dessins animés ou bien des films d’auteurs, des biopics ou des adaptations de nouvelles, les films nous donnent à voir, à minima, des relations inter-humaines catalysant bon nombre des enjeux dramaturgiques. En mettant en valeur ces rapports et les tensions qu’ils génèrent, nous dresserons des hypothèses, nourries de discours extérieurs et de comparaisons, dans le but de faire poindre un niveau de lecture alternatif. Nous commençons dès à présent avec Jean-Luc Godard (né en 1930), véritable monstre sacré du cinéma français et son film Une femme mariée (1964).

C’est en octobre 1957 que le terme de Nouvelle Vague est employé pour la première fois par la journaliste Françoise Giroud. Il désigne cette tendance, dont Godard est partie prenante, venant se poser en contrepoint d’un cinéma français
alors conformiste et éculé. Le maître mot : l’épuration. Épuration des dialogues, épuration des décors… Face à ce cinéma de « grand-papa » complètement déconnecté des préoccupations nouvelles, des jeunes cinéphiles tels que Eric Rohmer, Claude Chabrol, François Truffaut et bien d’autres cherchent à réancrer la pratique du cinéma dans une réalité plus directe. Si ces cinéastes font office de points de repères incontournables, c’est notamment pour leur capacité à bousculer les codes en termes de sujets développés. La Nouvelle Vague se présente donc comme un cinéma de son temps, de son époque, réfléchissant entre autres une vision tout à fait contemporaine des relations entre homme et femme. Comme le souligne Geneviève Sellier : « les figures féminines qu’il crée oscillent entre la prise en compte de l’émancipation des femmes réelles et des fantasmes romantiques et misogynes beaucoup plus archaïques » (Images de femmes dans le cinéma de la Nouvelle Vague, 2006). La séquence d’introduction du film Une femme mariée de Godard sorti en 1964 apparait en tout point représentatif de cette oscillation que nous expose Geneviève Sellier. Le film développe les tensions habitant Charlotte (incarnée par Macha Méril) dont le coeur est partagé entre l’amour qu’elle porte pour son mari, pilote d’avion, et son amant, comédien de théâtre.

Affiche japonaise du film

La première scène nous immerge dans l’intimité de Charlotte et de son amant. Dès le premier plan,  on y voit une main de femme qui se déplace sur le fond blanc avant de s’immobiliser : une main  d’homme se glisse, vient lui agripper son poignet. Tout le  programme discursif y est là résumé : une langueur sensuelle  mais aliénée, un contrôle à la manière de ces prisonniers  entravés, enchaînés aux poignets pour ne plus agir. Durant les dix minutes, ces mains masculines parcourent  progressivement la quasi totalité de l’anatomie de la jeune  femme. Cet homme reste dans l’ombre, il faut d’ailleurs attendre  un certain délai avant de découvrir son visage.  

Photogramme à 1’31

Chacun des personnages est signifié par son accessoire : Charlotte porte un fin bracelet et une  alliance, le symbole par excellence de la promesse d’amour, de fidélité et d’engagement : un véritable pied de nez à son mariage est donc mis en scène ici. Pour son amant, seule sa  montre est perceptible : la montre, l’indicateur de temps qui  permet à l’homme de régler le rythme de sa vie. Le rapport au  temps est d’ailleurs un véritable leitmotiv durant tout le film.  On nous introduit dès lors cette jeune femme qui se joue des conventions, qui profite du moment présent sans se soucier d’autre chose : « Pourquoi tu parles sans arrêt ? On est si  bien » lui dit-elle. Son amant dont les aiguilles de la montre défilent  inexorablement vers l’avenir, est tout au long du film un homme propulsé par ses projets. La  figure du mari au contraire préfère vivre dans le passé et les souvenirs, extrêmement attaché au  mémoriel. Charlotte est dans une ode au temps qui s’écoule, au temps qui n’est plus, comme elle le  chante si bien « Qui peut dire où vont les fleurs. Du temps qui passe… Du temps passé. ». Qu’elle  reprenne cette chanson popularisée en Europe en 1962 par Marlene Dietrich est on ne peut plus  signifiant : Charlotte partage beaucoup de points en commun avec l’actrice germano-américaine.  Dietrich est également celle qui apprécie l’instant présent, elle dit en 1963 au journaliste Paul  Giannoli : « Je ne regrette pas les choses : le regret vous savez c’est une chose très inutile ça n’a  jamais jamais rien apporté rien à personne, c’est une chose sans issue, ça ne rend pas heureux ».  Elle mènerait selon le même journaliste une vie d’homme, prend des risques, voyage beaucoup,  mais en contrepartie ne soutient pas l’égalité homme – femme : elle se défie de l’émancipation  féminine « qui amputerait la féminité ».  

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Dans ces moments d’insouciance disséqués de manière quasi chirurgicale par la caméra, l’amant lui  caresse le buste, la poitrine, les jambes, son ventre, le ventre de la femme qui engendre la vie. Il lui  émet un certain nombre d’injonctions. « Je voudrais un enfant de toi » ; « Tu devrais faire comme  dans les films italiens » ; « Enlève-le ». « Laisse moi te regarder »… Et pourtant. Quand cet homme  lui suggère qu’il la préférerait avec plus de poils, elle lui fait  comprendre clairement que ce n’est pas ce qu’elle désire pour  son corps « Moi j’aime mieux les films américains d’Hollywood, je trouve ça plus joli » accompagnée d’une moue  qui prouve qu’elle ne se soucie guère de ce qu’il pense. Serait ce le portrait d’une femme qui agit comme elle l’entend de son corps que l’on nous préfigurerait ? En effet, une fois cela dit,  les mains s’en vont. De même, lorsque l’homme lui fait part de  son envie d’avoir des enfants, elle lui rétorque qu’elle en a déjà un.  

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Une femme qui aurait le contrôle sur ses grossesses. C’est important de voir combien ce film fait  écho à une époque : ce film est sorti en 1964. Dès les débuts des années 70, les mouvements  féministes revendiquent le droit à l’avortement, tandis que la dépénalisation de l’avortement et l’encadrement légal de l’interruption volontaire de grossesse ne se  fait qu’en 1975. Macha Méril se balade qui plus est les seins  nus sur le toit, elle provoque son amant en le confrontant au grand jour à ses propres fantasmes « Je pensais que ça  t’embêtait pas que je sois nue ». En fin de compte, Charlotte ne  lui en tient pas rigueur. Elle embrasse la main de l’homme, lui dit qu’elle l’aime a deux reprises. Elle le trouve beau tel qu’il est : ses sourcils lui plaisent, eux qui donnent à un visage ses  expressions. La femme contemplerait la beauté dans les choses insignifiantes, là où l’homme passe au crible de façon quasi intrusive sa plastique (une dichotomie est dressée entre le spirituel et le charnel).  

Photogramme à 4’16

Mais pourquoi une liaison extra-conjugale ? Catherine Bolgert et Yves Mairesse exposent que  « l’amour des premiers temps d’une relation de couple, fusionnel, passionné, voué à combler tous  les manques, subit par la suite un inévitable désenchantement : l’autre ne comble pas tout.  S’installe alors au sein du couple une lutte de pouvoir visant à s’assurer le contrôle de l’autre afin  de rendre la relation plus sûre et prévisible. L’auteur trouve cette formule heureuse de «terrorisme  intime» pour imager ce type de relation. » (Le  terrorisme intime est-il le seul avenir des  couples ?, 2010). Peur de finir seul, on retrouve  le besoin de s’entendre dire que l’on est aimé.  Le fait de se dire « je t’aime » prend alors la  forme presque d’un rituel : à tour de rôle on se  caresse le visage, on embrasse cette main puis  on se dit « je t’aime ». Ces trois mots aurait pour  effet de combler l’amante, d’où la répétition de « oui », qui s’avère être un ersatz  d’orgasme. Charlotte semble au contraire neutre, perdue, lointaine.  Elle lit L’âme d’Elsa Triolet, cherche à ce que les être se confondent.  Il constate du fait que « Dans l’amour finalement on ne peut pas aller très loin. (…) On embrasse quelqu’un, on le caresse, mais  finalement on reste à l’extérieur, c’est comme une maison dans  laquelle on rentre jamais ».

Se dire « je t’aime »…
Photogramme à 6’23

Cette vision abrupte a été vivement critiquée : à l’origine le film devait s’appeler La femme mariée comme si l’amour de manière générale subissait la fatalité, tous les couples seraient voués à une  forme d’échec. Comment ne pas y voir un écho à Gustave Flaubert qui un siècle plus tôt était  poursuivi pour outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ? Comme si les  oeuvres de fiction devaient systématiquement être l’acmé moral du sujet qu’il prétend aborder. Tout  comme Madame Bovary, Une femme mariée met l’emphase sur le statut social de l’héroïne plus que  son individualité propre. Ces deux oeuvres exaltent l’émancipation exaltante ressentie par l’héroïne  en prenant amant, et toutes deux font face rapidement à ses désillusions. Le film nous donne à voir  en outre une compréhension complexe de l’amour et de la vie, apparemment fondamentalement  distinguée chez l’homme et la femme. Une femme mariée propose en fin de compte une réflexion  touchante des limites du don de soi et de l’appropriation que l’on peut faire des autres, dont le  découpage par la caméra rend compte. Les différentes parties anatomiques décomposées tel un  puzzle humain rend finalement les êtres foncièrement insaisissables.  

Yaël Pignol / @glitteringwitch

Une touche de rouge – Petite histoire de l’art menstruel

« Avec le sang de la guerre, des films d’horreurs, on n’a pas de problème. Mais une goutte de sang menstruel dans une pub et le monde est terrorisé »

 Elise Thiébaut, Etes-vous dérangée, dérangeant ou dégenré ?, le blog de Elise Thiébaut, Médiapart, 15/12/19

Les artistes ont commencé à s’emparer du sujet à la fin des années 1970. La représentation des règles menstruelles dans l’art est indissociable des mouvements féministes qui éclosent dans ces mêmes années. En effet, parler des menstruations est une manière pour beaucoup d’artistes femmes de se réapproprier leur corps et de renverser cette honte imposée par la société. L’artiste Judy Chicago, une artiste américaine née en 1939, s’est notamment emparée de ce sujet dans son œuvre emblématique Menstruation Bathroom. Elle est très engagée dans le milieu féministe et organise l’exposition Womanhouse, où cette œuvre est présente, l’une des toutes premières expositions d’art féministe. L’installation est une salle de bain blanche classique, cependant dans tout ce blanc immaculé ressort le rouge des tampons usagés dans la poubelle, tandis que sur un fil des serviettes menstruelles sont étendues. L’installation crée un grand choc à l’époque. De nombreux critiques l’ont dénigré en la qualifiant de vulgaire ou outrageante. Avec cette œuvre, Judy Chicago force le spectateur à se confronter à la réalité des règles avec une image forte pour s’affranchir du tabou autour de celles-ci. L’artiste voulait faire reconnaître une spécificité de la culture des femmes.

Judy Chicago, Menstruation Bathroom, 1972

Avoir ses règles va au-delà d’une réaction physique du corps, c’est un ensemble d’émotions que l’on ressent lors de cette période. C’est justement cela qu’exprime l’artiste féministe Carolee Schneemann dans l’œuvre Fresh Blood : a dream morphology, une performance vidéo de 1981-1987. Elle est une artiste américaine qui travaille particulièrement autour du corps, la sexualité ou le genre. Dans cette œuvre, elle cherche à reconstituer l’étrange sensation qu’elle ressent lors de ses menstruations. En effet, sa performance est inspirée d’un rêve étrange qu’elle fait avant de se réveiller et de constater qu’elle avait eu ses règles pendant la nuit. Le sang devient un véritable outil esthétique. Carolee Schneemann travaille donc autour de la symbolique des règles pour libérer la vision de son propre corps, elle cherche ainsi à explorer tous les aspects des menstruations, physiques et psychologiques. 

Dans cette mouvance féministe, d’autres artistes s’emparent de l’art menstruel comme Valie Export ou encore Gina Pane.

Dans les années 1980, la présence des règles dans l’art connaît une quasi-disparition, sans doute liée à l’épidémie de VIH. On image aisément qu’à cette période la représentation du sang est très mal perçue. Le mouvement renaît petit à petit dans les années 1990-2000.

Regardons l’œuvre Mouchoirs menstruels de Laëtitia Bourget. Entre 1997 et 2005, l’artiste travaille avec des mouchoirs couverts de sang menstruel, pliés et assemblés, pour former un motif épinglé au mur. De nouveau, le sang devient un matériau comme un autre de la création plastique, on joue sur la couleur et la texture pour créer des motifs abstraits. Selon l’artiste, « on passe tant d’énergie à effacer cette dimension [les règles] de notre vie, qu’il faut aller vraiment loin, pousser loin le clou pour que ça revienne. Et c’est là où ça peut être violent, par contraste »1.

Laëtitia Bourget, mouchoirs menstruels, 1997-2005

Cette brutalité, liée à la représentation des règles, est perceptible dans les nombreuses polémiques, comme celle autour de l’œuvre de Joana Vasconcelos, La fiancée, en 2012. L’artiste souhaitait montrer du doigt l’hypocrisie à l’égard des femmes d’une société à la fois hypersexualisée et conservatrice. Elle détourne les codes du luxe en imaginant un lustre constitué de 25 000 tampons. L’œuvre devait être installée au château de Versailles, cependant elle fut ensuite jugée trop « sexuelle » par ce dernier. L’artiste commente plus tard cette polémique : « [ces] œuvres [sont jugées] « sexuelles », et ce n’est pas convenable à Versailles. Comme s’il n’y avait pas eu tant de femmes à Versailles et tant d’histoires de sexe ! ».2

Joana Vasconcelos, La Fiancée, 2012

Malgré les discours grandissants autour des règles, le tabou est donc toujours présent. Comme l’écrit Elise Thiébaut, autrice et journaliste française: « Avec le sang de la guerre, des films d’horreurs, on n’a pas de problème. Mais une goutte de sang menstruel dans une pub et le monde est terrorisé »3.

La représentation des règles menstruelles est donc un acte à la fois subversif, politique et poétique. Mais celle-ci n’a pas toujours comme objectif de choquer le spectateur, bien souvent c’est un art tout en poésie qui nous montre une image d’intimité. L’oeuvre The Moon Inside You de l’Odie Pear Tree, est une œuvre qui cherche à sublimer le sang menstruel. C’est un autoportrait intimiste où l’artiste nous regarde, elle est nue et son cœur est symbolisé par du sang menstruel. 

Elodie Poirier est une photographe plasticienne née en 1996 qui fait de nombreux portraits. Ici l’artiste donne une image positive des menstruations, loin de l’aspect sale et honteux du tabou social. Le titre The Moon Inside You, fait référence à un film documentaire de Diana Fabianova sorti en 2009. Ce documentaire aborde le sujet des règles douloureuses, et remet en cause la gêne sociale autour de celle-ci. Il propose ainsi une réflexion sur la place des femmes dans nos sociétés. Ce film alterne entre plusieurs points de vue, dont le journal intime filmé d’une jeune fille de 12 ans, Dominika, qui confie ses angoisses et ses attentes face à ses premières règles et le début de sa féminité. L’œuvre Amorce, autoportrait au polaroïd couvert de sang menstruel,de l’Odie Pear Tree s’intéresse à la douleur des règles, souvent ignorée. L’artiste est représentée au centre en position fœtale. Cette œuvre évoque la maternité avec les règles comme un cycle créateur de vie.

Marianne Rosenstiehl, Les Limaces, photographie, 2014
Marianne Rosenstiehl, Les anglais, photographie, 2014

Les artistes, principalement des femmes, sont de plus en plus nombreuses à s’emparer du sujet des règles. La gêne et la honte sont légion lors des premières règles, toujours taboues. La photographe Marianne Rosenstiehl en 2014 montre des clichés tournants autour du sujet des règles dans une exposition au nom significatif The Curse (la malédiction), au Petit espace à Paris. Elle y parle de nombreux sujets liés au tabou, comme le premier rendez-vous gynécologique mais aussi les superstitions autour des femmes ayant leurs règles. Dans Les limaces, elle aborde la tradition paysanne à la fin du XIXème siècle en Anjou où les femmes devaient traverser les champs pendant leurs règles pour éradiquer les chenilles, limaces ou sauterelles. Les Anglais renvoie à l’expression détournée « les anglais débarquent » pour évoquer les règles. 

La représentation des règles est donc un moyen à la fois de se réapproprier son corps dans la mouvance de l’art féministe, mais aussi de faire tomber un tabou en affichant sans honte les menstruations. Enfin, c’est une manière d’expérimenter de nouvelles formes artistiques tout en poésie. Le sang des menstruations effraie autant qu’il fascine les artistes. 

Et malgré l’omerta autour de ce sujet, on remarque que finalement les règles ont toujours été présentes dans les croyances et dans notre quotidien. Je conclurais ainsi sur les mots de la photographe Marianne Rosenstiehl:

« Le sang des femmes répugne, effraie, fascine, émeut. Il a fait l’objet de nombreuses superstitions, légendes et fantasmes, à travers toutes les civilisations. Ces tabous façonnent nos représentations sociales et intimes. Quelles traces de ces croyances sont encore apparentes dans notre quotidien ? »

 Marianne Rosenstiehl, Maison européenne de la photographie pour l’event The Curse, 2014, Petit Espace, Paris

Morgane

Références bibliographiques :

https://www.artlimited.net/agenda/marianne-rosenstiehl-the-curse-malediction-photographie-galerie-petit-espace-paris/fr/7582597

https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/rouge-comme-les-regles-44-les-regles-de-lart-menstruel

http://blog.allmecen.com/2019/08/19/les-regles-de-lart/

https://awarewomenartists.com

https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/06/20/joana-vasconcelos-une-femme-un-peu-trop-libre-pour-la-cour-du-roi-soleil_1721774_3246.html

https://blogs.mediapart.fr/elise-thiebaut/blog/151219/etes-vous-derangee-derangeant-ou-degenre

Pour aller plus loin :
De fureur et de sang : blessures et menstruations dans l’art féministe, Léa Jaurégui et Jeanne Mathas, texte issu du colloque Violente(s) organisé par Zoé Marty et Eva Belgherbi en mai 2019 à l’Ecole du Louvre, Les cahiers de l’Ecole du Louvre, cahier n°15, 2020
Elise Thiébaut, Ceci est mon sang, La Découverte, 2017

Notes :

1:  Laëtitia Bourget dans rouges comme les règles : les règles de l’art menstruel par Perrine Kervran, LSD (la série documentaire) France Culture, 19/10/2017
2:  Joana Vasconelos, Le Monde, Joana Vasconcelos, une femme un peu trop libre pour la cour du Roi-Soleil, Philippe Dagen, 20/06/2012
3:  Elise Thiébaut, Etes-vous dérangée, dérangeant ou dégenré ?, le blog de Elise Thiébaut, Médiapart, 15/12/19

Eve Arnold, photographe Féministe

Eve Arnold on the set of Becket. Photo: Robert Penn. 1963 © Eve Arnold/Magnum Photos

Eve Arnold est l’une des figures féministes emblématiques de l’Agence Magnum à partir de 1951. Pourtant peu connue du grand public, elle incarne au même titre que ces consoeurs Abigail Heyman et Susan Meiselas, le renouveau artistique  consacré à la vision de la femme après la Seconde Guerre Mondiale. Elle naît à Philadelphie, en Pennsylvanie, de parents russes juifs immigrés aux Etats-Unis pour fuir les persécutions. Elle grandit dans une famille pauvre. cette précarité n’empêchait pas ses parents de conserver leurs traditions, par exemple de manger du caviar sur des blinis à chaque Noël.  Elle se souvient de son père comme d’un intellectuel socialiste, qui souhaitait toujours le meilleur à ses enfants, ce qu’il n’avait eu lui-même. Sa mère quant à elle, n’était pas très instruite.
Ses parents aimaient se remémorer la Russie, et reprendre en chœur les chants révolutionnaires de leur jeunesse. Eve Arnold a été grandement marquée par cette période de pauvreté, même si elle a eu une enfance heureuse, comme le décrit Michael Arnold, son grand-oncle. La pauvreté est d’ailleurs l’un des thèmes qu’elle exploite au sein de son travail de photographe.

Elle abandonne ses études de médecine en 1946, après avoir reçu en cadeau d’un ami son premier appareil photo. Elle débute alors la photographie avec son ami en amateur, photographiant des sans abris dans la rue, les reflets du soleil ou encore la peinture qui s’écaille sur un mur. Puis, elle trouve un travail dans une usine de finition photographique, grâce à un mensonge , en se faisant passer pour photographe. Cette audace est une preuve de sa grande détermination. Elle y apprend grandement sur le contrôle qualité des photographies, et continue ses expériences photographiques qu’elle appelle « happy snaps ». Elle a quitté ce travail durant la guerre, après son mariage et pour s’occuper de son enfant.

Puis en 1948, elle entre à la « New School for Social Research » de New York, et devient l’élève d’Alexey Brodovitch, très influent dans le milieu de la mode, il est le directeur artistique du magazine Harper’s Baazar. Son professeur la félicitera pour ses clichés de mode qu’elle effectuera lors de défilés organisés à Harlem.

En 1951, Eve Arnold collabore avec l’agence Magnum Photos en tant que « photojournalist », et ce n’est qu’en 1957 qu’elle en devient un membre à part entière. C’est d’ailleurs la première femme à intégrer l’agence. Elle devient « a career lady », « a woman photographer » aux yeux de ces collègues photographes, des termes qu’elle perçoit de manière totalement négative, comme issus d’une vision machiste, puisque ils n’auraient pas pu être appliqués pour un homme. Elle prend place dans un monde masculin et impose sa vision.

Dès 1952, elle commence à couvrir d’importants évènements tels que la convention républicaine à Chicago, les mouvements politiques noirs – en s’intéressant particulièrement à Malcom X et les Blacks Muslims – ainsi que les mouvements féministes. Ce sont ces causes qui vont l’animer tout au long de sa carrière.

Eve Arnold,  Marilyn Monroe, Reads Ulysses of James Joyce, 1954 (à gauche)
Eve Arnold, Malcolm X, Chicago, 1961 (à droite)

« I have been poor and I wanted to document poverty ; I had lost a child and I was obsessed with birth ; I was interested in politics and I wanted to know how it affected our lives ; I am a woman and I wanted to know about woman. » Eve Arnold (1976).

Eve Arnold  accorde beaucoup d’importance à la condition féminine à travers différentes sociétés. En 1972 dans le film Behind the Veil elle s’intéresse à la situation de la femme dans la société musulmane, au sein de harem, elle soulève la question de la polygamie au Moyen Orient. Dans The Unretouched Woman publié en 1976, elle s’intéresse au même sujet, en étendant son propos dans le monde entier. Elle réalise tout au long de sa carrière de nombreux portraits de personnalités : Marilyn Monroe dont elle est la photographe intime, Richard Nixon, président des Etats-Unis, John Huston, réalisateur américain, la reine d’Angleterre Elizabeth II, Elizabeth Taylor, Malcom X, Marlene Dietrich, …

En 1961, après s’être installée à Londres, elle publie une série d’articles dans le magazine Queen qui préfigurent les petites annonces. Elle voyage beaucoup, et accumule de nombreux clichés variés des quatre coins du monde regroupant des prisonniers politiques soviétiques, des prostitués cubaines, des musulmanes dans leur harem, des ouvriers chinois, des cavaliers mongols, … elle publie d’abord In China en 1980, puis All in a Day’s Work en 1989.

Elle est récompensée pour sa carrière en 1980 par the American Society of Magazione Photographers, The International Center of Photography of New York qui rend hommage en 1995. C’est à cette même période que sont organisés des expositions majeures autour de son travail, en 1996, sa rétrospective (16 venues) fait le tour du monde, la même année l’exposition « Woman to Woman » (en conjonction avec Inge Morath) tente de synthétiser sa pensée féministe. Elle meurt le 6 janvier 2012 à Londres, peu avant son centième anniversaire.

The Unretouched Woman, son oeuvre majeure

Eve Arnold, Couverture de The Unretouched Woman, 1976

The Unretouched Woman est un livre, une anthologie photographique à la manière d’un catalogue d’exposition qu’Eve Arnold publie en 1976 chez Knopf. Elle regroupe le travail de plus vingt-cinq années entre 1952 et 1975 de photographies à travers le monde, pour former un ouvrage sur le sentiment d’être une femme. « How it feels to be a woman » est le thème de cette recherche photographique. Il me semble important de retenir cette expression, que je laisse ici dans la langue originale, pour bien aborder et comprendre l’œuvre d’Eve Arnold. Elle mentionne cette expression dans son introduction, en poursuivant et précisant que cette recherche est « vu à travers les yeux et l’appareil photo d’une femme ». On peut penser que ce travail découle de la réaction que ses confrères photographes ont eu lors son arrivée dans l’agence Magnum Photos,  ils ne pensaient pas qu’elle n’avait pas sa place dans ce monde, qui était encore à cette époque très masculin. Dès lors, Arnold commence à réfléchir sur la condition féminine dans la société américaine d’abord puis dans le monde. Cet ouvrage est le fruit d’une longue réflexion féministe, ce terme « féministe » n’est pas utilisé par Arnold, mais je juge correcte de l’utiliser dans ce contexte puisque la photographe se rend compte très tôt de ce manque d’égalité entre les genres, des traitements différents qui sont accordés aux femmes, des considérations sexistes dont elles font l’objet. 

Eve Arnold a dans son œuvre The Unretouched Woman,  photographié les femmes du monde entier, sans retouche, sans pose, sans maquillage ou presque, au naturel, sur le vif, loin des stéréotypes qui conditionnent les femmes, loin des exigences de la mode, loin de tyrannie de la représentation féminine communément admise dans nos sociétés contemporaines, loin de l’image idéalisée que font les publicités visant à gommer les défauts afin de construire une image parfaite. Elle a su casser les codes de la photographie imposés par ses confrères. Révélant la femme naturellement, la mettant en valeur. 

Sacha Hédou

Conversation avec Emilie Pria

Emilie Pria, « La chambre de Sarah, ou la chambre de la soeur de Vinz », 2020, exposition « Jusqu’ici tout va bien » au Palais de Tokyo

C : J’ai conversé avec Emilie après la fin de l’exposition « Jusqu’ici tout va bien » présentée au Palais de Tokyo au début du mois de septembre. Elle y a présenté une installation performée intitulée La Chambre de Sarah (ou la chambre de la sœur de Vinz) inspirée du film « La Haine[1] », sur laquelle je l’ai questionnée. Mais, plus qu’une entrevue, je tenais à la remercier pour cette rencontre humaine et très inspirante. Pour cet échange qui m’a beaucoup appris et qui, j’en suis sûre, vous intéressera autant que moi.

-Merci aussi à toi Kelian pour avoir rendue réelle cette idée, et pour tous les autres projets à venir…-

C : Pour commencer, peux-tu te présenter ?

E: Je m’appelle Emilie Pria, j’ai 23 ans et je suis originaire de Paris. Après avoir d’abord fait des études supérieures en mathématiques, je me suis dédiée à l’art. Pour cela, je suis rentrée au conservatoire de théâtre du 5e arrondissement de Paris, dans lequel je suis toujours, et très vite après j’ai intégré l’école Kourtrajmé en section art et image.

Pour me définir, je dirais que je suis une artiste transdisciplinaire, je fais aussi bien du théâtre que du collage ou encore de la musique (avec ma soeur[2]).

C : Et comment es-tu arrivée à Kourtrajmé[3] ?

E : Je suis entrée à Kourtrajmé en postulant après avoir vu une annonce sur Instagram. J’étais dans un moment de changement, je faisais de la photographie mais j’avais envie de découvrir de nouvelles choses, de nouvelles pratiques. L’école m’a aussi permis d’aller ailleurs dans ma pensée, en me confrontant à celle des autres élèves et avec l’aide des professeur.e.s, pour pouvoir explorer un nouveau champ des possibles. L’école nous permet de nous affirmer en tant que jeunes créateur.rice.s, et je pense particulièrement à JR (que je remercie beaucoup) qui nous encourage et nous donne la confiance nécessaire pour développer nos projets, il nous pousse à les réaliser.

C’est grâce à tout ça que j’ai commencé l’installation, qui me permet de toucher à tout (costumes, sound design, photographie, performance ou même le modelage de l’argile). J’ai compris que j’avais envie de créer des univers pour faire entrer les spectateur.rice.s dans une idée, de créer du dialogue avec eux.elles. Cette volonté vient peut-être aussi de ma pratique du théâtre, car la scène vous donne cette même envie, ou bien encore de ma pratique de la danse. J’aime aller vers des œuvres évolutives et notamment vers la performance qui me plaît beaucoup.

J’ai justement pu performer en live dans une installation que j’ai réalisée à l’occasion de l’exposition « Jusqu’ici tout va bien »[4] au Palais de Tokyo en août et septembre derniers. C’était différent des autres devoirs que j’avais pu rendre avant à Kourtrajmé – surtout des photographies- et ça m’a permis d’utiliser mon corps d’une manière différente. J’ai souvent mis en scène mon corps dans mes œuvres, et en photographie c’était surtout dans des autoportraits. Quand je me montre, je ne parle pas forcément de moi, Emilie Pria, en tant que sujet, mais j’utilise mon corps comme objet de l’œuvre. Et c’est en cela, je pense, que mon travail photographique m’a aussi amenée à la performance. J’ai réalisé que la photo elle-même était le résultat d’un enchaînement d’actions préparatoires, et je me suis penché sur ce déroulement en amont. La mise en mouvement de mon corps devient alors le sujet et l’objet de mon œuvre.

C : Comment ça s’est passé l’exposition « Jusqu’ici tout va bien » ? Qu’as-tu tiré de cette expérience d’exposer/performer au Palais de Tokyo ?

E : Dans un aspect technique, une équipe de régisseurs m’a aidée (pour le papier-peint, la moquette etc..) et sinon j’ai du tout acheminer par moi-même et grâce à l’aide de mon père. J’ai ensuite pu tout placer comme je le souhaitais, j’étais très impliquée dans mon montage puisque je devais évoluer dans mon œuvre.

J’étais aussi assez libre dans ma performance, j’étais là surtout quand j’avais envie de performer. Des jours je performais très longtemps et d’autres moins. C’était la première fois que je pouvais le faire dans un musée, ce qui est différent de la scène. J’ai trouvé ça agréable et j’ai beaucoup aimé.

J’ai vécu cette expérience comme très enrichissante et en même temps c’était très sollicitant. La chambre était agréable et je pouvais évoluer comme je voulais, dans ces moments rares de la vie ou on peut ne rien faire et décider quoi faire quand on le veut. Pour moi, c’était une expérience méditative, je faisais même de vraies siestes. Je faisais aussi des collages à base d’images de magasines de cuisine et de cinéma des années 1990, pour parler aussi de la place des femmes dans ces représentations. Je les affichais ensuite dans cette chambre qui se transformait vraiment comme celle d’une vraie adolescente.

Je faisais totalement abstraction du public et j’aurais peut-être tout de même aimé rentrer en jeu avec les spectateur.rice.s, mais ça ne s’est pas vraiment fait. Je tenais aussi un journal de performance pour la première fois et cette expérience me pousse à continuer dans cette voie.

Emilie Pria performant Sarah, endormie

C : Pourrais-tu nous parler de ton œuvre, « La chambre de Sarah » et nous expliquer en quoi elle illustre de ce qui te fous la haine et ce qui te tenait à cœur de parler ?

E : Mon installation performée présentée lors de l’exposition montre une chambre, celle de Sarah la sœur de Vinz (Vincent Cassel dans La Haine) que j’incarne dans son univers. L’idée du projet était de répondre au film La Haine en faisant écho au monde d’aujourd’hui. Pour ça, j’ai créé un dispositif cinématographique mais pour un espace muséal. C’est-à-dire que j’ai voulu créer un décor comme celui d’un film et y jouer comme dans un film en performant. En quelque sorte j’ai déjoué les limites de la caméra qui guide notre regard en ouvrant le champ à un personnage peu montré dans le film. Et donc si j’ai choisi Sarah c’est parce qu’elle est un personnage présent -mais très peu- dans le film. On la voit notamment au balcon avant l’introduction aux personnages. C’est tout de même le personnage féminin le plus vu dans le film (environ deux minutes) et dont on connaît le prénom. J’ai voulu imaginer la suite de ce personnage, pour attirer l’attention sur elle, si peu montrée. J’ai créé un futur pour Sarah, comme une fiction qui se passe deux ans après la mort de son frère, pour voir à la fois son deuil mais aussi sa vie à elle, jeune femme de la fin des années 1990. C’est pour ça que dans sa chambre j’ai placé des objets des années 1980/90, et recréé cet univers d’adolescente. Il s’agit d’un espace où j’incarne Sarah dans des actions qui pourraient être celles de son quotidien, mais que j’ai inventées et que j’ai laissé évoluer.

Ce lieu permettait de rendre son identité à cette jeune femme, de lui donner une intimité et de la faire exister. Et j’avais eu cette réflexion, de me demander à qui moi, regardeuse, je pouvais m’identifier dans les personnages de La Haine, majoritairement masculins. De fait, il n’y avait pas tellement de possibilités, et c’est pour ça que j’ai voulu redonner vie à Sarah, pour parler des femmes dans ce contexte. J’ai voulu montrer les actions et les questionnements d’une adolescente mais aussi la violence qui pèse sur elle. Cette souffrance de celle qui reste après la mort de son frère, violente et injuste. Cette souffrance dont on ne parle pas et qui n’est pas de l’ordre du spectaculaire, qui est plus insidieuse et en sous-texte, mais qui plombe. J’ai choisi de montrer sa haine à elle et qui je pense n’est pas sans écho à l’actualité. Je pense à Assa Traoré, qui, sœur de la victime, a porté la lutte pour la justice et contre la violence qui la touche elle aussi. Quand je mets Sarah en lumière, je pense à toutes ces femmes qui souffrent dans l’ombre. C’est pour ça que j’ai choisi de montrer leur point de vue, souvent oublié et qui pourtant mérite notre attention.

Ces femmes permettent de se poser des questions, quand, au sein des intrigues entre personnages masculins, une boucle de la violence se forme. Une boucle faite de vengeance et d’un besoin d’affirmer sa masculinité notamment par la force physique. Moi, j’ai voulu penser un personnage féminin plus présent pour interroger ce cercle, pour me demander ce qu’il adviendrait si l’autre partie de l’histoire était entendue. Si les femmes étaient là dans ces groupes, cette violence serait-elle la même ? Cette crise de la virilité ferait-elle encore sens ? 
Il me semble que parler des personnages féminins, les faire rentrer en jeu permet de critiquer et de briser ce système de valeurs pour en montrer une autre réalité.

Il s’agit aussi d’une violence sociale et misogyne réelle, que j’ai illustrée avec des posters accrochés comme dans une chambre d’adolescente. J’ai choisi les affiches de Manhattan, Orange Mécanique et de James Bond, et avec ce dernier, l’exemple de la James Bond girl et toute la violence qui découle de ce statut de faire-valoir d’un héros masculin, d’une femme objectifiée pour son corps. Avec ces exemples j’ai voulu faire ressortir le fait qu’il y ait peu de représentations des femmes dans ces films et dénoncer la nature des regards portés sur elles quand elles sont présentes.

Dans ma performance, cette violence est montrée dans des actions banales et peu spectaculaires. Bien sûr, il y avait aussi des moments de climax dans la vie de Sarah, mais je voulais montrer que même dans son calme, la violence est là et jusqu’à la fin de ses jours. Cette chambre je la voulais vivante, et je l’ai fait vivre par moi-même. Les actions se jouaient sur une longue temporalité, parfois de l’ennui, parfois du sommeil ou bien de la lecture, de la création de collages. Et quand elle était vide, c’est que Sarah était sortie faire je ne sais quoi, se balader ou voir ses ami.e.s. En incarnant ce personnage, je donnais un corps à Sarah et j’appelais à une certaine empathie. J’ai voulu créer son personnage de manière à le rendre réel et crédible, et pour ça j’ai fait appel à des femmes qui ont vécu dans des univers proches de celui de Sarah dans le film, pour mieux comprendre ses activités et ne pas en faire une autofiction. Finalement c’est un semi-documentaire, semi-autofiction, et puis en même temps jouer la sœur de Vinz je trouvais ça un peu audacieux.

Aussi, si j’ai choisi le motif de la chambre d’adolescente c’est parce qu’il m’intéresse beaucoup. C’est un endroit qui cristallise les contradictions, et d’être dans une chambre d’adolescente ça permet de se concentrer sur ce lieu de réflexions, où l’on se cherche et où l’on se place face au monde. L’adolescence féminine c’est un sujet qui fait peur parfois, mais parler de cet univers ça peut aussi nous y faire sentir bien et nous rassurer. Et je trouve ça intéressant d’ouvrir ce lieu à tou.te.s car il nous rappelle nos propres moments de chaos, et pour ma part, il résonne avec mes propres pensées quand je me sens encore un peu bloquée dans cet état entre enfance et adulte. Et j’avais déjà travaillé sur l’univers de la chambre dans une exposition à Montfermeil où je matérialisais mes peurs de manière symbolique. Les regardeur.euse.s étaient soit à l’aise (peut-être des gens déjà passés par là) soit y projetaient leurs propres angoisses. Donc la chambre et ses symboles parlent à tou.te.s et résonnent avec leur vécu, ce qui apporte du sens à mes installations en faisant naître de nouvelles interprétations.

Il y a aussi cet univers, ce décor, inspiré de la famille juive polonaise de Sarah et aussi de ma famille roumaine orthodoxe, qui sont bien différentes, mais qui ont cette même influence du kitsch. Cette influence des grands-mères, des grands-tantes qui sont aussi montrées dans le film, de leurs machines à coudre, des papiers peints kitsch que je haïssais jeune et qui aujourd’hui me plaisent, car ils me rappellent cette période et ont quelque-chose de réconfortant.

Dans cette chambre je parle aussi de la sexualité adolescente, un sujet très tabou. La découverte de la masturbation, de notre corps, de nos désirs ou encore la création de nos fantasmes au sein d’une société qui baigne dans l’hypersexualisation et le porno, c’est un moment important. C’est pour ça que parfois dans la performance je sortais un Magic Wand -un sextoy commercialisé dans les années 1980- et je le passais sur moi, alors devenue corps de Sarah, sur mes bras, sur mes jambes. Je montrais une jeune fille se cherchant, parfois reculant face à l’objet, face à cette découverte du désir qui l’effraie un peu. Et peut-être que dans les faits Sarah n’aurait pas eu de Magic Wand dans sa chambre, mais je pense que ça illustrait bien ce qu’il se passe dans la vie des adolescentes. Je vois cette action comme un symbole fort qui percute face à celui.elle qui passe devant l’installation à ce moment-là. Un symbole qui le.la choque ou l’interroge et qui lui apprend peut-être aussi l’existence de cette face cachée de la vie des femmes, dont on ne parle presque pas, ou mal, et qui pourtant est un moment clé pour toutes.


Emilie Pria, A ROOM OF ONE’S OWN, installation, juillet 2020, exposition à Montfermeil

C : Mais en ce qui te concerne et au-delà de performer Sarah, comme vis-tu et te places-tu dans le monde de l’art en tant que femme artiste ?

E : Mon art c’est donc aussi mon rapport à moi en tant que femme qui existe au monde. Mon outil d’exploration du monde c’est mon corps de femme, mon approche des choses passe par lui et ça joue sur beaucoup d’aspects de ma vie. J’ai donc exploré tout ça dans ma pratique, je me suis photographiée comme Cam Girl ou encore en une Ophélia dans une mare, entre mort et désir.

J’essaie d’incarner ces figures féminines moi-même et dans un dispositif où c’est moi qui créer ma propre image. Je pose mon propre regard et je manipule mon corps. Je suis souvent nue dans mes œuvres mais c’est moi qui gère mon image. Je joue sur l’ambiguïté sujet/objet et en créant ma propre image, je permets -en un certain sens- un voyeurisme contrôlé.

Bien sûr, comme dans tous les mondes, on a une place particulière en tant que femme dans l’art. On fait face aux mêmes mécanismes sexistes qu’ailleurs et on est sous-représentées. Alors il faut se battre plus. 
Et en même temps, pour moi c’est mon privilège d’être une femme. C’est certes plus dur, mais je suis vraiment heureuse d’en être une.

Mais, je ne me définis pas comme « artiviste » parce que concrètement je ne suis pas dans l’action, je ne suis pas dans la rue. Je suis plus dans une réflexion qui rejoint ces mêmes préoccupations, et à mon échelle je tente de créer du lien avec les femmes. Mes œuvres sont faites pour qu’elles se sentent représentées et que tou.te.s puissent se poser des questions et réfléchir à ces sujets importants.

Camille Philippon

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[1] Un film de Matthieu Kassovitz sorti en 1995

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[3] https://cinema.ecolekourtrajme.com/

[4] https://youtu.be/W8wRprD1OpM