La K-pop

En France, la pop coréenne, la K-pop, est, au mieux méconnue, au pire traitée avec beaucoup de clichés et dévalorisée. Quand on lit des articles ou qu’on en parle au grand public, on entend toujours les mêmes remarques : « ils se ressemblent tous », « chorégraphies millimétrées », « industrie musicale commerciale », « soft power coréen », « groupe pour fans hystériques de 12 ans » et le classique « ils ressemblent à des femmes ». Plus globalement, la première réaction des gens à qui on dit qu’on écoute de la K-pop oscille entre le rire et l’incompréhension, comme si c’était étrange d’écouter de la pop autre qu’européenne et américaine. Alors, au-delà de toutes les idées préconçues et du manque de représentation de la K-pop dans nos médias « traditionnels », nous allons partir à la découverte de plusieurs groupes et de textes pour tenter de comprendre la popularité de cette musique auprès du public et son impact dans l’industrie musicale.

Et quel impact ! Les groupes de K-pop battent des records musicaux et suscitent un engouement énorme partout dans le monde. Alors que sur Youtube, les chiffres s’affolent, nous n’en entendons jamais parler ! Pendant l’été 2012, vous avez forcément dansé sur Gangnam Style du chanteur Psy. Le clip dépasse le milliard de vues en quelques mois à peine. Un engouement mondial qui a été comparé à la sortie de Thriller de Mickael Jackson ! Psy n’est pas le seul artiste coréen à avoir passé la barre symbolique du milliard de vues sur Youtube. Deux groupes, BTS et BlackPink, ont aussi hissé deux clips au-delà du milliard, avec respectivement DNA sorti en 2017 et Ddu-Du Ddu-Du sorti en 2018. BTS et BlackPink se disputent aussi le record de la vidéo la plus vue en 24h après sa sortie, un record sur le très court terme mais qui permet de mesurer l’engouement de leurs deux communautés de fans à la sortie d’un single. Ce record était détenu par BTS grâce à Boy with Luv (2019), vue 74 millions de fois, avant d’être battu par BlackPink le 27 juin 2020 à la sortie de leur single How you like that, vu 86 millions de fois. Depuis le 22 août 2020, le record appartient à nouveau à BTS grâce à Dynamite, regardé plus de 100 millions de fois en une journée.

BTS pendant leur tournée Love Yourself : Speak Yourself (2019)

L’importance de la K-pop dans le monde de la musique ne se limite pas à Youtube. BlackPink est le premier groupe de K-pop à se produire au célèbre festival de Coachella. Les sept membres de BTS sont les premiers artistes coréens à remplir deux soirs de suite le mythique stade de Wembley à Londres (qui a accueilli Queen ou Mickael Jackson). Ils ont égalé le record d’un des plus grands groupes de l’histoire, les Beatles, en plaçant 3 albums numéro 1 au Billboard 200 dans une seule et même année. Leur concert payant en ligne pendant le confinement a d’ores et déjà battu le record du concert virtuel réunissant le plus de spectateurs au monde. Ils sont aussi le premier groupe de K-pop à s’être produit sur la scène des Grammy Awards, la cérémonie musicale la plus importante aux Etats-Unis. Bon allez, j’arrête de vous assommer avec des chiffres, des records et des superlatifs ! Vous aurez compris que, même si la K-pop est assez peu diffusée par nos radios et chaînes de télé musicales, c’est un art qui prend de plus en plus de puissance dans le monde de la musique et avec lequel il faudra compter dans l’avenir.

BlackPink à Coachella (2020)

Arrivé à ce stade, vous pourriez me dire que la célébrité n’est pas gage de qualité ! Mais cet article n’est pas là pour dire si la K-pop est bien ou non, mais plutôt pour comprendre pourquoi les musiques ont une telle popularité. La K-pop, c’est d’abord un spectacle esthétiquement beau. La plupart des performances sont faites sans playback, les artistes chantent et rappent en live, le tout sur des chorégraphies souvent très élaborées et sans compter les effets scéniques ou pyrotechniques. Si la K-pop soigne la forme, peut-on en dire autant du fond ? Encore une fois, on est très loin des clichés qu’on pourrait avoir sur les boys bands et les girls bands, à base de chansons entrainantes sans prise de tête. Et c’est sans doute là aussi la raison de leur grande popularité chez les ados, les jeunes adultes mais aussi les adultes : les groupes de K-pop abordent des thèmes qui parlent à tout le monde. Les artistes écrivent sur les sujets qu’ils connaissent, les épreuves qu’ils ont traversées, leurs espoirs, leurs peurs et leurs rêves. Les fans se sentent compris.e.s, représenté.e.s voire aidé.e.s par certains textes. Ce sont des chansons dans lesquelles on peut s’identifier, puiser de l’aide, du réconfort, de l’énergie, en plus bien évidemment de profiter de la musique et des voix des chanteur.euse.s et rappeur.euse.s. Les textes abordent aussi des sujets et des problèmes de société majoritairement coréens que connaissent leur public, mais qui peuvent aussi intéresser les fans internationaux. BTS a par exemple évoqué la difficulté et l’absurdité du système éducatif coréen dans sa chanson N.O. sortie en 2013. Ils dénoncent un système particulièrement éprouvant, la pression et la recherche constante d’excellence qui pèse lourdement sur les jeunes. Ils.elles en souffrent beaucoup et la Corée du Sud est malheureusement le pays avec le taux de suicide le plus élevé chez les jeunes. Des questions assez taboues en Corée comme la santé et les maladies mentales ou l’estime de soi sont aussi abordés par les artistes. BTS (toujours lui) a sorti une trilogie d’albums intitulée Love Yourself (2017 – 2018) sur le thème de l’estime de soi, de l’amour-propre, pour encourager son public à prendre soin de lui, à s’aimer et à se respecter soi-même avant toute chose. De même, le groupe féminin ITZY a sorti en 2020 Wannabe, un hymne à se libérer du regard des autres et des exigences de la société pour être soi-même. Sur un sujet plus grave, le rappeur Agust D a sorti en 2016 The Last et 140503 at Dawn où il évoque sans détour la dépression et la phobie sociale contre lesquelles il a dû lutter à la fin de son adolescence. Les chansons Mist de Ateez (2019), Hellevator de Stray Kids (2017) et 5tar de A.C.E (2018) abordent les thèmes de l’anxiété, du mal-être, du découragement et même de la mutilation pour 5tar, mais aussi de l’espoir d’aller mieux. Dans des sociétés où ces questions sont peu ou pas abordées, on peut comprendre l’importance de ces textes pour les fans, qui se sentent touché.e.s personnellement et réconforté.e.s. Les artistes s’engagent aussi pour la diversité et la tolérance. De nombreux.ses artistes ont pris position pour la défense des minorités en Corée du Sud, que ce soient des minorités culturelles ou la communauté LGBT, car si l’homosexualité n’est pas un crime, elle extrêmement mal vue dans la société sud-coréenne. Ainsi, les groupes de K-pop permettent à leurs fans de se sentir représenté.e.s et accepté.e.s, dans une société qui souvent les rejette. BTS (c’est la dernière fois que j’en parle promis) s’efforce depuis quelques années de faire des chansons non-genrées, où le texte peut s’adresser à un homme comme à une femme, pour que tou.te.s se sentent concerné.e.s. On peut également trouver des textes plus « explicites », comme la chanson Oh my god du groupe féminin (G)I-DLE (2020), une chanson d’amour écrite par des femmes et s’adressant vraisemblablement à une femme.

Stray Kids pendant la promotion de leur album Go Live (2020)
(G)I-DLE pendant la promotion de Oh my god (2020)

Même s’il existe des textes plus légers, la K-pop est loin de n’être qu’une industrie dédiée au divertissement. Les artistes utilisent leurs voix pour évoquer des sujets de société importants, pour représenter leurs fans dans toute leur diversité, pour inspirer et pour aider. C’est cela qui explique en partie l’immense impact que ces groupes peuvent avoir dans la vie de leur public, qui est toujours aux rendez-vous pour ses idoles, lors des concerts à guichets fermés et sur les plateformes de streaming. Alors, ne dénigrons pas la K-pop parce qu’elle est étrangère à nos habitudes ou méconnue dans notre pays. Pour la K-pop ou pour tout autre pratique culturelle « minoritaire » en France, ne nous arrêtons pas aux préjugés ou aux jugements car nous pourrions passer à côté de belles surprises.

Myrrha

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